Cette commission du réseau a été programmée dans le contexte des discussions autour du projet de loi dite « asile et immigration », en cours au mois de décembre 2023. A ce stade, le texte prévoyait, dans sa version adoptée en Commission mixte paritaire, reprenant des propositions et ajouts du Sénat, un durcissement des conditions d’accès au regroupement familial, à certaines prestations sociales, au droit au séjour pour soins, etc.
France Assos Santé Grand Est s’est alors mobilisée afin de permettre aux acteurs associatifs du réseau d’être correctement informés sur les conséquences, directes et indirectes, désastreuses sur l’état de santé des personnes concernées mais aussi sur la santé publique.
Après la saisine du conseil constitutionnel par le Président ainsi que des députés et sénateurs, le texte de loi est révisé. La loi promulguée le 26 janvier 2024, est amputée de la quasi-totalité des articles et dispositions ajoutés par les sénateurs. La plupart des dispositions ont été censurées, car considérées comme cavaliers législatifs, c’est-à-dire sans aucun lien avec le projet de loi initialement déposé. Ce qui signifie donc qu’elles pourraient réapparaître dans des décrets ou projets de loi dédiés.
La loi entrée en vigueur en janvier 2024 est proche de la proposition initiale du gouvernement, rendue publique en février 2023. Rappelons que le texte avait à ce moment-là, suscité une vive inquiétude, chez les associations et juristes spécialisés en droits des étrangers, quant à ses répercussions, concernant notamment les conditions d’entrée, de séjours, d’asile et de sortie du territoire des ressortissants étrangers
Dans ce contexte il nous semble nécessaire de rester informés et vigilants.
Pour ce faire nous avons invité Mme Marie PRIQUELER (Directrice Migrations Santé Alsace) et Mme Juliette BABIN, (Chargée de mission Migrations Santé Alsace) pour une bonne information sur les différents statuts des personnes étrangères en France, leurs droits en santé et les conséquences des politiques menées actuellement.
De qui parlons-nous ?
L’exposé de Migrations Santé Alsace a débuté par une clarification des termes. En effet, de nombreux termes sont utilisés dans les médias, le langage courant et les discours politiques mais quels statuts et quelles réalités se cachent derrière ? Cette clarification des termes est indispensable à une meilleure lecture des droits en santé.
Dans le tableau ci-dessous vous retrouverez l’ensemble des définitions avec des termes qui ont effectivement une valeur administrative et qui ouvrent des droits spécifiques (en vert dans le tableau) et d’autres termes qui n’ont qu’une valeur descriptive (en bleu dans le tableau).
Une fois les termes précisés, nous nous sommes penchés sur le profil des personnes migrantes en situation régulière ayant obtenu en 2022, un droit d’admission au séjour en France.
Les motifs sont les suivants, du plus répandu au moins répandu : les études (32%) le motif familial (30%), le motif économique (16 %) puis le motif humanitaire (13%). (1)
Les migrants pour motif économique sont en 2022, 69% à obtenir une admission au séjour par ce qu’ils ont une activité salariée sur le territoire, 19 % parce qu’ils exercent une activité saisonnière ou temporaire, 9% sont des scientifiques et 3% des actifs non-salariés (entrepreneurs par exemple).
Parmi les migrants ayant été régularisés pour motif humanitaire, 65% sont réfugiés (persécutés dans leur pays sans protection possible) ou apatrides (aucun pays n’accorde sa nationalité) et 26% bénéficient de la protection subsidiaire. Les étrangers malades ayant obtenu une admission au séjour pour ce motif représentent 8% des migrants pour raison humanitaire (soit 3 280 personnes). Il est à préciser que ce statut est réservé aux migrants qui nécessitent une prise en charge médicale qui n’est pas possible dans le pays d’origine et dont le défaut pourrait entraîner des conséquences irrémédiables.
A chaque statut des droits particuliers, quels sont-ils ?
Les étranger-ère-s bénéficiant d’un titre de séjour régulier ont des droits ouverts à l’assurance maladie, et, peuvent selon leur situation financière, soit cotiser auprès d’une couverture complémentaire (Mutuelle, Prévoyance, Assurance), soit être affiliés à la Complémentaire Santé Solidaire (C2S), avec ou sans participation financière (selon condition de ressources).
Les étranger-ère-s avec un titre de séjour régulier en situation de précarité et les demandeur-euse-s d’asile (qui ont une période de carence de 3 mois), ont droit à l’assurance maladie grâce au dispositif de la PUMA et peuvent en complément, relever de la Complémentaire Santé Solidaire (C2S) avec ou sans participation financière (selon condition de ressources).
Pour les Etranger-ère-s sans titre de séjour régulier et leurs ayant droits présents depuis plus de trois mois sur le territoire, ils pourront avoir des droits ouverts à l’Aide Médicale d’Etat (AME). S’ils n’ont pas de droits ouverts à l’AME, ils peuvent être soignés auprès des permanences d’accès aux soins de santé (PASS), par le Dispositif de Soins Urgents et Vitaux (DSUV) ou encore auprès de certaines associations.
L’AME de quoi parle-t-on ? Définir et déconstruire les idées reçues
L’aide médicale d’état (AME) est un dispositif d’accès aux soins pour les immigrés en situation irrégulière et leurs ayants droits, présents depuis plus de 3 mois sur le territoire français et ayant des ressources inférieures à 809,90€/mois.
Ce dispositif ouvre droit à un panier de soins au même titre que l’assurance maladie, à l’exception de quelques restrictions. Sont notamment exclus de la prise en charge les cures thermales, la procréation médicalement assistée (PMA), les princeps (si générique existant) et les médicaments remboursés à 15%.
L’AME reste un dispositif précaire, transitoire, valable un an et éventuellement renouvelable, n’ayant donc rien à voir avec la prise en charge de droit commun de la Sécurité Sociale.
Recours et non-recours à l’AME
En 2019, 51% seulement des personnes pouvant prétendre à l’AME ont effectivement des droits ouverts, ce qui est dommageable car cela représente 300 000 à 400 000 personnes sans couverture maladie sur le territoire français (2).
Cela représente un enjeu fort de santé publique !
Pour les personnes elles même , tout d’abord, qui pourraient bénéficier d’un accès aux soins mais aussi pour le système sanitaire en général qui se retrouve engorgé par des situations d’urgences qui auraient pu être évitées par une prise en charge des problématiques de santé dans les temps, par de la prévention, etc.. Une prise en soins correcte de l’ensemble de la population permet également d’endiguer les épidémies pour l’ensemble de la population.
Il est important à noter que 25 % des bénéficiaires de l’AME sont des mineurs de nationalité étrangère, c’est-à-dire des personnes qui ne sont pas juridiquement des étranger-ères en situation irrégulière.
Pourquoi l’AME est remise en cause ?
Deux des arguments des détracteurs de l’AME sont son coût et le risque de fraude. Pourtant en 2022 L’AME représente 0,5% des dépenses de la sécurité sociale, soit 1.186 Milliard d’euros. Au sujet des fraudes, en 2018 (dernières données accessibles), 38 cas de fraudes à l’AME étaient détectés, en sachant que c’est la couverture sociale qui subit le plus de contrôle.
En parallèle, nous pouvons regarder le montant total des fraudes à l’assurance maladie.
En octobre 2022 (étude réalisée par le Monde), cela représentait 1 Milliard et dans les deux tiers des cas les soignant-e-s sont à l’origine des versements indus (3).
Les bénéficiaires de l’AME victimes de refus de soins
Selon une étude de l’Institut des Politiques Publiques conduite avec le soutien du Défenseur Des Droits, du ministère de la Santé et de la prévention et de la DREES en 2023 (4) :
Les patient-e-s bénéficiaires de l’AME ont :
- Entre 14 et 36% de chance en moins d’obtenir un rendez-vous chez un médecin généraliste,
- Entre 19 et 37% chez un ophtalmologue,
- Entre 5 et 27% chez un pédiatre.
Ces pratiques sont illégales et caractérisées de refus de soins discriminatoires (5).
L’Aide Médicale d’Etat (AME) remis en question
Lors de l’examen en séance publique du projet de loi « contrôler l’immigration et améliorer l’intégration », le Sénat avait introduit une disposition visant à transformer l’AME (Aide Médicale d’Etat) en AMU (Aide Médicale d’urgence).
Néanmoins cette disposition ne se retrouve pas dans le texte final étudié en commission mixte paritaire, ayant été retirée par le gouvernement en amont de l’étude du texte, au prétexte qu’il pourrait s’agir d’un cavalier législatif et en appui sur le rapport rendu par Claude EVIN et Patrick STEFANINI (6).
S’agissant d’une condition expressément posée par Les Républicains pour aboutir à un accord lors de cette commission, le gouvernement, en la personne d’Elisabeth BORNE, prend l’engagement d’une réforme de l’AME en début d’année 2024, dans un courrier officiel rendu publique au Président du Sénat, en date du 18 décembre 2023.
Aujourd’hui cela reste en suspens, dans l’attente d’une réforme annoncée par le 1er ministre, « avant l’été » 2024, par voie réglementaire
Aussi il convient d’être informés et vigilants pour pouvoir être réactifs.
La réforme de l’AME telle que projetée par les Sénateurs comprenait les éléments suivants :
Un panier de soins drastiquement réduit et redéfini comme suit :
- La prophylaxie et le traitement des maladies graves et les soins urgents et vitaux ;
- Les soins liés à la grossesse et ses suites ;
- Les vaccinations réglementaires ;
- Les examens de médecines préventives.
Des conditions d’accès similaires à celle de l’AME (7), auxquelles s’ajoutent l’instauration d’un droit de timbre.
Il s’agirait donc de soumettre à la complexité administrative d’accès qui est celle de l’AME, pour laquelle rappelons-le, le taux de non-recours est de 49%, des soins correspondant sensiblement à ceux pris en charge actuellement dans le DSUV (dispositif de soins urgents et vitaux).
Le risque de renoncement aux soins inhérent à cette réforme aurait pour triple conséquence une dégradation de l’état de santé des personnes concernées, des conséquences possibles sur la santé publique et une pression accrue sur des établissements hospitaliers déjà en tension.
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